Bulletin n° 41

dimanche 10 novembre 2002

ÉDITORIAL

Vingt ans après

Un anniversaire en suit un autre : l’assemblée générale de fondation de l’Association Georges Perec réunissait, le 11 décembre 1982 à l’hôtel de Massa (siège de la Société des Gens de Lettres), quelque soixante-dix personnes, ce qui, avec le recul, peut paraître extraordinaire dans le genre, neuf mois seulement après la disparition — elle-même si précoce — de Georges Perec. Il faut surtout se rappeler une remarquable conjonction de certitudes, de convictions et d’engagements qui, quoique protéiformes, étaient déjà bien avancés dans un projet commun, minimal mais ferme : lire, étudier et faire lire cette œuvre à la fois singulière et touchant toujours au vrai, au crucial de toute entreprise de littérature.

Un an plus tard, l’Association s’installait à l’Arsenal, la Bibliothèque Nationale lui proposant là une reconnaissance appréciable et un soutien logistique sans exemple. Elle recevait ensuite la confiance des ayants-droit de l’écrivain, qui déposaient à sa garde les manuscrits. Plus récemment, un protocole tripartite d’un type tout à fait inédit a enfin récompensé cette entente en en scellant les termes pour un avenir encore généreusement ouvert. Si l’on peut se demander ce qui, outre les qualités particulières de son objet, explique ce destin assez exceptionnel, la réponse est dans la rigueur et l’obstination, non moins rares, de l’activité dans laquelle l’Association a su investir ces apports : jeudis de réception des chercheurs, séminaires, publications, expositions, patients travaux de documentation, de conservation et de conseil scientifique témoignent d’une vocation entièrement tournée vers la recherche et la divulgation.

En raison de sa prospérité — intellectuelle et morale s’entend —, l’Association a été et reste menacée par les périls contradictoires de l’éclatement par divergence de mobile ou d’intérêts, et de la tentation de virer au groupe de pression. Mais, d’une part, jamais les querelles de personnes, les tentatives de captation ou les désertions ne l’auront détournée de son propos sobre, original et exemplaire. D’autre part, les résultats sont là : elle aura effectivement contribué à instaurer ce qui, paradoxalement, pourrait être naïvement brandi en argument de sa cessation même, dans la mesure où l’œuvre de Georges Perec —qu’on lui a reproché à tort de s’approprier dans un certain sectarisme de réception alors qu’elle se contentait de favoriser la construction de lectures nouvelles et affines à la spécificité des textes — est véritablement aujourd’hui offerte à tous. Tout comme elle a su s’adapter à toutes sortes de changements par le passé, il lui faudra se rendre à l’évidence de cette nouvelle situation par elle créée : l’exégèse perecquienne, en partie, la dépasse désormais.

Et c’est bien ainsi. Car la seule force, et la vraie fragilité de cet être authentiquement collectif qu’est l’Association, est l’enthousiasme de ses militants, dont l’énergie bénévole se mobilise jour après jour pour une cause sans ambiguïté ni futilité. C’est à dessein que je n’en citerai aucun, ni des débuts ni d’aujourd’hui, de sorte qu’ils se sachent tous remerciés au nom de tous. Ensemble et seuls à le faire, ni gardiens du temple ni donneurs de leçons, ils accomplissent à travers le monde ou depuis l’Arsenal cette tâche aussi gratuite que grandiose, ce travail de compilation et d’information sans exclusive, ce service public librement consenti et sans a priori, exercent partout leur initiative autorisée.

Il leur appartient de réfléchir maintenant aux conditions qui permettront à cet héritage scientifique et littéraire, à cet acquis sans équivalent, de fructifier encore longtemps pour le bien de ce qui, tous, nous a un jour rassemblés autour de l’œuvre de Georges Perec : apprendre à lire.

Éric Beaumatin