Appel à contribution pour le prochain numéro des Cahiers Georges Perec : "Sonographies perecquiennes : radio, musique, son"

vendredi 2 juillet 2021

Vous trouverez ci-dessous l’appel à contribution pour le prochain numéro (15) des Cahiers Georges Perec dédié aux "Sonographies perecquiennes : radio, musique, son".

Modalités de participation : les propositions de contribution devront être adressées avant le 30 octobre 2021 aux adresses suivantes : hans.hartje@univ-pau.fr ; e.zwenger@esam-c2.fr

Sonographies perecquiennes : radio, musique, son

Le corpus des œuvres perecquiennes fait apparaître un nombre non négligeable de pièces sonores que nous rassemblons ici autour de la notion de sonographie. De statut souvent mixte, associant les médias de l’écriture et de l’imprimé à ceux, analogiques, du son (radio, musique) et de l’image (film), ce corpus comprend les Hörspiele réalisés pour les radios allemandes et diverses pièces radiophoniques élaborées en France, auxquelles s’ajoutent plusieurs projets musicaux identifiés et réalisés à des degrés variables – livrets d’opéra (Diminuendo, L’Art effaré), partition musicale (Souvenir d’un voyage à Thouars) – ainsi que plusieurs pièces destinées à la scène (La Poche Parmentier, L’Augmentation, La Fosse d’orchestre) ou à la projection cinématographique (Un Homme qui dort, Les Lieux d’une fugue, Récits d’Ellis Island). La définition de ce corpus sonore infléchit ainsi l’approche textocentrique de l’œuvre de Perec vers une réflexion de type médiopoétique fondée sur les opérations de perception, d’inscription et de transmission.

Concernant l’opération de la perception, Perec s’avère être un mélomane qui goûte l’opéra ou le jazz en salle et dans les clubs, mais aussi à domicile en organisant périodiquement des séances d’écoute sur disques de cycles musicaux complets (Mozart, Wagner, etc.). Outre sa thématisation parodique (Cantatrix Sopranica), l’écoute engage chez Perec une organologie de la perception, située entre l’extériorité des appareils techniques (la radio, la Hi-Fi) et l’intériorité de l’anamnèse (l’écoute préparant à l’anamnèse des Lieux est comparable aux exercices préparatoires à la remémoration des Je me souviens).

En mettant en jeu les rapports de l’écriture alphabétique aux sons, l’opération de l’inscription se montre dépendante des formes de l’enregistrement (bande magnétique du Nagra, studio, studio mobile) qui autorisent une remédiation des contraintes de l’écriture vers d’autres médias – la radio (L’Augmentation/Wucherungen, Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978), le film (Les lieux d’une fugue) – ou inversement du son à la page (Die Maschine, Mechanismus des Nervensystems im Kopf/Fonctionnement du système nerveux dans la tête, Récits d’Ellis Island, Vœux). L’opération de l’inscription met ainsi en évidence l’écriture littéraire et musicale comme des objets temporels spatialisés. Le modèle explicite de la partition (Souvenirs d’un voyage à Thouars) ou celui, implicite, que propose la contrainte appliquée à l’œuvre sonore (Konzertstück für Sprecher und Orchester), définissent la médiation et la remédiation comme les éléments d’une allographie où la notation acquiert la valeur d’un médium de création à part entière (Souvenir d’un voyage à Thouars). La contrainte scripturale s’affirme également à l’égard de la dimension orale de la langue, qu’il s’agisse des jeux homophoniques (Vœux), des expressions populaires (Tagstimmen) ou de la poésie (Die Maschine). Elle met ici en évidence l’importance des rapports, chez Perec, entre la tradition et la modernité, qui peuvent également être envisagés au plan du répertoire musical perecquien, situé par Perec lui-même entre la tradition et la modernité musicales de son temps (Free Jazz, GERM/Ph. Drogoz). L’inscription favorise enfin la compréhension du travail littéraire selon une métaphore musicale – « On travaille un peu comme des musiciens » –, où les exercices d’assouplissement verbaux sont comparables aux « gammes » de l’instrumentiste.

Nous nous demanderons enfin comment les quatre champs génériques de l’écriture définis par Perec – sociologique, autobiographique, ludique et romanesque – s’affirment potentiellement comme des médias susceptibles d’assurer une forme de transmission. Les formes sonores données par Perec à ces champs acquerraient dans cette perspective la valeur d’une transmission singulière définie par leurs dispositifs de diffusion : spatialisation du son, de la musique, de la voix et de la langue au moyen des procédés de la stéréophonie, de la simultanéité et du montage. Ainsi du modèle romanesque périodique des Extraordinaires aventures de Mr Eveready), de l’infraordinaire (Tagstimmen, Konzertstück, Tentative de description de choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978), du jeu avec les contraintes (Die Maschine, Konzertstück) et de l’autobiographie (Mechanismus des Nervensytem im Kopf), ce dernier champ étant peut-être repérable, plus généralement, dans les rapports des voix au silence.

De l’appareil phonatoire humain (la voix chantée, la voix parlée) aux dispositifs spatiaux de l’écoute publique ou privée (la scène théâtrale, le concert, le transistor, la chaîne Haute-Fidélité), en passant par les modes de l’enregistrement du son (la bande sonore de film, le studio d’enregistrement, le magnétophone), l’étude de la dimension sonore de l’œuvre de Perec souhaite mettre en évidence, à travers son potentiel de remédiation, la plasticité de l’écriture de Perec et, partant, la force d’amplification qu’elle offre à l’écriture hors du livre.

N.B. L’Association Georges Perec propose aux chercheurs, dans ses locaux de la Bibliothèque de l’Arsenal, une écoute des pièces radiophoniques réalisées par Perec ainsi que d’autres documents audiovisuels.

Axes d’étude suggérés

Archéologie des « Hörspiele » en contexte allemand. Emergence du genre dans les années 20 avec notamment Walter Benjamin et Bertolt Brecht ; le « Hörspiel der Innerlichkeit » de l’après-guerre et en réaction, le « Neues Hörspiel » des années 1960 ; Friedrich Knilli et le «  totales Schallspiel », etc.

La métaphore musicale de l’écriture. Notation musicale et partition : la contrainte comme partition. La virtuosité de l’écriture : entraînement, gammes, répétitions (L’Oulipo, les mots croisés, la poésie). Le livret d’opéra, un argument musical pour l’écriture. Tradition et modernité littéraire et musicale : de l’opéra à la musique contemporaine (Ph. Drogoz et le GERM), de Lester Young au Free Jazz.

Son, espace, temps. L’œuvre in situ. L’espace paginal et l’espace radiophonique. Contrainte et mesure du temps : rythme, périodicité, mouvement. L’accompagnement sonore du texte et des images.

Enregistrement et document sonore. L’infraordinaire sonore : Écoute, de toutes tes oreilles, écoute. Rythmanalyse (Tagstimmen, Konzertstück). Le temps du broadcast : enregistrement et mémoire collective (la mémoire musicale et sonore des Je me souviens). Enregistrement de l’éphémère. Une organologie de l’enregistrement (de la machine à écrire à la bande magnétique).

Les performances de la voix. Tentative de description des choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978, L’Augmentation). Jeux homophoniques et lectures : une performance sonore ? La voix, le corps : Perec et la scène de la poésie sonore française ; Perec et la scène performative new yorkaise (Kate Mannheim/Richard Foreman). Enonciations sonores de l’auteur : la voix de l’auteur (Les Lieux d’une fugue, Récits d’Ellis Island, La vie filmée des français). La voix contre le silence : figure sonores du neutre.

Corpus des sonographies perecquiennes

Radiophonies :

 Hörspiele (radios allemandes)
 Die Maschine, traduction et adaptation d’Eugen Helmlé, 1968.
 Wucherungen (L’Augmentation), traduction d’Eugen Helmlé, 1969.
 Tagstimmen, de G. Perec, Ph. Drogoz et Eugen Helmlé, 1971.
 Der Mechanismus des Nervensystems im Kopf, traduction d’Eugen Helmlé, 1972.
 Konzertstück für Sprecher und Orchester de G. Perec, Ph. Drogoz et Eugen Helmlé, 1974.

 Hörspiele posthumes
 Der Kartoffelkessel (La Poche Parmentier), traduction d’Eugen Helmlé, 1987.
 Der Teufel in der Bibliothek (Le Diable dans la bibliothèque, 1967), traduction d’Eugen Helmlé, 1991.

Créations radiophoniques (radio française)
 Les Extraordinaires aventures de Mr Eveready, Radio Abidjan, 165 épisodes, avril-octobre 1970.
 AudioPerec, Atelier de Création Radiophonique, 1972.
 Tentative de description des choses vues au carrefour Mabillon le 19 mai 1978, Radio-France, 1979.

Œuvres musicales :

Opéra
 Diminuendo, livret d’opéra de poche, musique de Bruno Gillet, 1971, enregistré.
 L’Art effaré, livret d’opéra de poche, musique de Ph. Drogoz, 1973.
 La Fosse d’orchestre, spectacle musical, musique de Ph. Drogoz inspiré de La Poche Parmentier de Perec, 1978.

Partition
 Souvenir d’un voyage à Thouars, musique GERM (Groupe Etude et Réalisation musicales, dir. Ph. Drogoz), 1972.

Radio
 Le Petit abécédaire illustré, musique de Ph. Drogoz, 1972.
 Konzertstück für Sprecher und Orchester, musique de Ph. Drogoz, 1974.

Films
 Un homme qui dort (film), musique de Ph. Drogoz, 1974.
 La vie filmée des français (1930-1934), Michel Pamart/Claude Ventura, texte et voix de Perec, 1975.
 Les Lieux d’une fugue, interprétation des Kreisleriana de M. Schumann par Gérard Frémy, texte et voix de Perec, 1978.
 Série noire, Alain Corneau, dialogues de Perec, 1979.