PARUTION : Georges Perec, Œuvres I, II, Bibliothèque de la Pléiade
lundi 21 janvier 2019
Georges Perec
Œuvres I, II
Coffret de deux volumes vendus ensemble (aussi vendus séparément)
Édition publiée sous la direction de Christelle Reggiani avec la collaboration de Dominique Bertelli, Claude Burgelin, Florence de Chalonge, Maxime Decout, Maryline Heck, Jean-Luc Joly et Yannick Séité
Parution le 11 Mai 2017
Collection Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard
rel. Peau, 105 x 170 mm
ISBN : 9782072719110
Le Tome I (1184 pages) contient Les Choses - Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ? - Un homme qui dort - La Disparition - Les revenentes - Espèces d’espaces - W ou Le souvenir d’enfance - Je me souviens. En marge des œuvres : Textes et documents.
Le Tome II (1280 pages) contient La Vie mode d’emploi - Un cabinet d’amateur - La Clôture et autres poèmes - L’Éternité. Appendice : Tentative d’épuisement d’un lieu parisien - Le Voyage d’hiver - Ellis Island - L’art et la manière d’aborder son chef de service pour lui demander une augmentation - L’Augmentation. En marge des œuvres : Textes et documents.
Notre « contemporain capital posthume » : ainsi a-t-on qualifié Perec vingt ans après sa mort. La formule n’est pas une simple boutade, elle dit quelque chose de la fortune de l’œuvre. Celle-ci a laissé sa marque dans la culture populaire, ce qui n’est pas banal. « Mode d’emploi » est utilisé à tout propos, et « Je me souviens » est devenu une scie. Mais de tels stéréotypes ne présagent pas toujours la présence réelle des livres. De cette présence, la multiplication des publications posthumes, qui rivalisent, du moins en notoriété, avec les ouvrages que Perec publia lui-même, est un indice plus convaincant. Plus significatif encore, le nombre des écrivains, des artistes, des architectes, etc., qui se revendiquent de l’auteur d’Espèces d’espaces. Perec serait-il déjà devenu un classique ? La relative intemporalité que cela suppose ferait alors écho au désir qu’exprimait le titre rimbaldien de son dernier poème, L’Éternité, et qui se lisait déjà dans Les Revenentes : « Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère. »
Perec, pour sa part, se décrivait comme « un paysan qui cultiverait plusieurs champs » : sociologique, autobiographique, ludique, romanesque – ce dernier, tributaire de l’envie (bien naturelle chez un lecteur de Jules Verne) « d’écrire des livres qui se dévorent à plat ventre sur son lit ». Mais on tenterait en vain de ranger ses ouvrages dans quatre cases distinctes. Les quatre perspectives ne s’excluent pas les unes les autres ; elles sont autant de modes de lecture possibles, et compatibles. « Je cherche en même temps l’éternel et l’éphémère » est certes, comme Les Revenentes tout entier, un lipogramme monovocalique (la seule voyelle employée est e) qui inverse l’époustouflant lipogramme en e de La Disparition (où cette voyelle n’est jamais employée) : nous voici au royaume des contraintes, des prouesses, de l’Oulipo. Mais cette phrase envoûtante est aussi, et avant tout peut-être, un mode d’emploi de la vie.
Chez Perec, les contraintes formelles miment en quelque sorte celles, tragiques, de l’histoire, « la grande, l’Histoire avec sa grande hache ». La disparition d’une voyelle dit celle de l’univers familial. La place centrale qu’occupe dans l’œuvre le chiffre 11 est à rapprocher de la date de la déportation, le 11 février 1943, de la mère de l’écrivain. Une vie commence alors qui s’écrira à l’irréel du passé : « Moi, j’aurais aimé aider ma mère à débarrasser la table de la cuisine après le dîner. » Pas de temps retrouvé euphorique pour Perec. La mémoire demeure lacunaire, et Je me souviens souligne sa fragilité. Aucun palindrome, aucun Voyage d’hiver ne saurait inverser le fleuve du temps. Du moins la fiction peut-elle en suspendre le cours, et donner au monde une forme conquise sur le désordre du réel. C’est à cette ambition que La Vie mode d’emploi et l’œuvre tout entière de Perec doivent leur intensité.